Dépistage massif ciblé : explications du Pr Philippe Froguel

A la veille d’une nouvelle étape du déconfinement progressif, le gouvernement met en place le dépistage massif à l’échelle d’une ville pour stopper – ou du moins limiter – la propagation de l’épidémie. Explications de l’intérêt d’une telle stratégie, par l’un de ses principaux promoteurs en France, le Pr Philippe Froguel (professeur au CHU de Lille et à l’Imperial College de Londres).

Pr Philippe Froguel

A la veille d’une nouvelle étape du déconfinement progressif, le gouvernement met en place le dépistage massif à l’échelle d’une ville pour stopper – ou du moins limiter – la propagation de l’épidémie. Explications de l’intérêt d’une telle stratégie, par l’un de ses principaux promoteurs en France, le Pr Philippe Froguel (professeur au CHU de Lille et à l’Imperial College de Londres).

Le dépistage massif ciblé, un « levier d’expérimentation »

Quatre métropoles vont mettre en place une campagne de dépistage massif dans les prochaines semaines dont celles du Havre-Seine et Charleville-Mézières qui démarrent ce lundi (voir encadré). « Ces opérations sont autant un moyen de limiter la propagation du virus dans les collectivités concernées qu’un levier d’expérimentation de notre stratégie « tester, alerter, protéger » dont vous voyez qu’elle évolue » a affirmé Olivier Véran lors de son intervention jeudi dernier.

Ce mode opératoire, aussi appelé « mass testing » a été préconisé par le Pr Philippe Froguel et une dizaine de professionnels de santé qui avaient adressé plusieurs notes à Emmanuel Macron et à son ministre de la santé. Le médecin lillois avait ainsi expliqué, début décembre à nos confrères de La Croix , qu’il désirait expérimenter le dépistage généralisé au niveau de la métropole de Lille pour « tester la logistique » et « savoir la prévalence » du portage du SARS–CoV2. Certains épidémiologistes se sont montrés plus sceptiques sur ce type de stratégie. Le dépistage massif peut-il oui ou non être une stratégie efficace en France ? Pour le savoir, nous avons interrogé le Pr Philippe Froguel.

Sur l’intérêt de cette stratégie, lire l’interview de l’épidémiologiste Antoine Flahault. Ce professeur de santé publique, ancien directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), aujourd’hui directeur de l’Institut de santé globale à la Faculté de médecine de l’université de Genève (Suisse) se montre, lui, plus réservé sur l’efficacité d’une telle méthode.

Une troisième vague inéluctable

« Si la France ne met pas en place une campagne de dépistage massif à l’échelle nationale dans les prochains mois, elle subira une troisième vague et un nouveau confinement », alerte ce dernier. Pour le médecin lillois, la diminution récente du nombre de contaminations en France pourrait être suivie d’une nouvelle augmentation de la circulation du Covid-19 durant les vacances de Noël. « On risque donc une troisième vague, d’autant plus que les universités vont rouvrir début 2021 (la réouverture des universités devrait avoir lieu en janvier ou février prochains). » Et de citer les Etats-Unis qui affrontent en ce moment une terrible troisième vague, quatre mois après la deuxième. Un phénomène similaire pourrait survenir en France « en mars/avril si rien n’est fait pour le retarder », estime Philippe Froguel, persuadé que « la troisième vague sera inéluctable tant que l’on n’aura pas réussi à vacciner 50 % de la population française ».

Or, selon lui, la plupart des Français vont sans doute devoir patienter de nombreux mois pour pouvoir se faire vacciner : « En dehors des Ehpad où l’on va commencer à vacciner en janvier, je crains qu’il y ait très peu de Français qui soient vaccinés avant l’été. Nous ne sommes pas très en avance sur le plan de vaccination. À court terme, le vaccin n’aura donc aucune influence sur la transmission du virus en France, parce que ce ne sont pas les personnes âgées des Ehpad qui transmettent le virus. »

Avoir une image précise de la circulation du virus

Pour éviter le pire dans les prochains mois, le médecin préconise donc le dépistage massif pour « avoir une image précise du portage du virus dans différentes zones géographiques en France », ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. « Nous n’avons pas encore testé à grande échelle, même en utilisant des sondages aléatoires sur des personnes représentatives, comme on le fait pour les sondages d’opinion. Les tests PCR réalisés en France ne nous permettent pas aujourd’hui de connaître la proportion de gens qui portent le virus. On ne l’a d’ailleurs jamais su, c’est pour cela que l’on a raté la deuxième vague. Car, en septembre, on ne s’est pas rendu compte que le nombre de cas était en train d’augmenter très rapidement. » Pour le généticien, il est donc indispensable d’avoir une image précise de la circulation du virus à un temps zéro pour pouvoir « réfléchir à ce que l’on faut faire ».

Se concentrer sur les métropoles

Cette stratégie permettra aussi de dépister les porteurs sains selon Philippe Froguel, ce qui permettrait d’éviter une troisième vague. Le médecin fait notamment référence à une étude menée en Islande et publiée dans Nature  qui « montre que 66 % des porteurs de virus sont des porteurs sains qui ne savent pas qu’ils sont contaminés. De fait, la majorité des contaminations a lieu au domicile ou sur le lieu de travail, dans les endroits où il y a une forte propagation du virus ». D’où l’importance de cibler les grandes villes françaises afin de « pouvoir diagnostiquer les gens qui, même s’ils l’ignorent, transportent le virus. Car les grands foyers de contamination dans les zones de surpopulation. Il faut donc se concentrer sur les métropoles, et en particulier les quartiers populaires. » Une stratégie qui pourra d’après lui être complétée par des dépistages ciblés dans les zones de forte circulation du virus : entreprises, universités, lycées, collèges…

Etendre le dispositif aux 22 métropoles françaises

Reste à savoir quand il sera le plus judicieux de faire cette campagne de dépistage massif. Philippe Froguel propose de la faire « juste avant Noël ou après les fêtes. Dans le nord de la France, cela sera plutôt après les fêtes pour avoir l’image au point zéro au moment du déconfinement, pour savoir où on en sera. Ce sont des données qui nous ont particulièrement manqué pendant l’été 2020. »

Si cette stratégie porte ses fruits, il faudra ensuite étendre le dispositif aux 22 métropoles françaises, ce qui représente un défi de taille, reconnait le médecin. Il plaide donc pour les tests salivaires et propose de « faire des tests groupés, ce qu’on appelle le pooling (consiste à tester un mélange d’échantillons issus d’individus différents ; NDLR) pour faciliter les choses sur le plan technique » et ainsi pour pouvoir réaliser le dépistage massif dans les 22 métropoles. Il faudra également faire en sorte, « en collaboration avec des collectivités locales, de convaincre une grande partie de la population de se faire tester, pour obtenir 50 à 75 % personnes testés. »

Déjà expérimenté en Slovaquie et à Liverpool

Enfin, le médecin tient à répondre aux critiques de certains médecins qui, à l’image du Dr Christian Lehmann dans Libération , doutent de la faisabilité de cette méthode. Non seulement parce qu’il faudrait sans doute plusieurs mois pour tester toute la population. Mais aussi parce que « les personnes infectées mais non détectables ou détectées pendant leur période d’incubation (environ trois jours après l’infection) risquent de passer à travers les mailles du filet. » Or, la situation pourrait évoluer rapidement selon Philippe Frogel, notamment parce que « le pool de porteurs sains pourrait baisser substantiellement, comme cela s’est passé en Slovaquie et à Liverpool », où l’on a aussi expérimenté le dépistage massif, semble-t-il avec succès. Des tests itératifs répétés tous les 15 jours pourraient aussi être réalisés dans un deuxième temps, peut-être « sous la forme de sondages, pour savoir si le taux de contamination a remonté ou pas ».

Et de conclure, en répondant à ceux qui pensent que le dépistage massif demande des moyens humains et logistiques que la France n’a pas. « On peut toujours dire que rien n’est possible en France. En disant par exemple « cela n’a pas marché l’année dernière ». Et d’ailleurs, quand on ne fait rien, ça ne marche pas, et c’est donc la preuve qu’il ne faut rien faire ! Sauf que tous les gagnants au Loto ont tenté leur chance ! »

Julien Moschetti

Publié dans Medscape le 14 décembre 2020.

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