Détresse des étudiants : les solutions des doyens de médecine

Isolement, solitude, précarité, perte de sens, cours en distanciel depuis plus de deux mois, récents suicides… Telles sont les raisons qui ont poussé les étudiants à manifester à travers la France le 20 janvier pour défendre les conditions de vie et d’études des étudiants. Le même jour, la Conférence des doyens de médecine organisait une conférence de presse pour présenter les dispositions prises pour renforcer la protection et l’accompagnement des étudiants en médecine. Son président, le Pr Patrice Diot est revenu sur les suicides récents, les grandes difficultés de vie des jeunes et le nécessaire bien-être étudiant. Avant de proposer la mise en place d’un plan d’action dans les facultés de médecine pour arrêter l’hémorragie.

 

Le 13 janvier dernier, une étudiante en médecine de la Sorbonne (Paris), Sinega Santhirarajah, s’est suicidée. D’après sa famille, les résultats de ses partiels seraient à l’origine de son acte.

Un drame qui s’ajoute à la tentative de suicide de deux étudiants lyonnais en l’espace d’une semaine. Étudiant en master de droit à Lyon, le premier s’est jeté par la fenêtre du 4e étage de sa résidence universitaire le 9 janvier. En réaction, le syndicat universitaire Solidaires Etudiants Lyon-2 alerte : « Il faut rouvrir au plus vite les universités pour accueillir en présentiel toute-s les étudiant-e-s, avec une jauge de 50%. La crise sanitaire accentue l’isolement ainsi que la précarité, et favorise la détresse psychologique des étudiant-e-s ».

Quelques jours plus tard, une étudiante lyonnaise a menacé de se défenestrer, avant d’être rapidement prise en charge. L’un de ses camarades de cours explique : « Nous restons 24h/24, 7j/7 dans nos chambres universitaires mesurant les mêmes dimensions qu’une cellule de prison (…). Combien de poids un étudiant peut-il supporter ? Il est vital de laisser les écoles ouvertes ».

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Pour le Pr Patrice Diot, la situation est grave. « Nous avons des signaux qui nous préoccupent extrêmement quant à l’équilibre et à la santé de nos étudiants. Un certain nombre sont dans des conditions précaires, isolés socialement. Et, malheureusement, des passages à l’acte et des drames sont survenus dans les universités françaises », a admis le 20 janvier le Pr Patrice Diot, président de la Conférence des doyens de médecine. Et d’ajouter que les étudiants en médecine sont confrontés « à des conditions extrêmement difficiles depuis le début de cette crise sanitaire ». En particulier ceux de première année qui ont vu les cours en présentiel suspendus fin octobre dernier, au moment même « où l’on met en place une réforme des conditions d’entrée dans les études de santé qui est excessivement complexe et pas toujours bien comprise », a constaté le Pr Patrice Diot.

Quant aux étudiants plus âgés, ils se sont retrouvés « d’une manière ou d’une autre insérés dans la chaîne des soins Covid-19 » : service sanitaire, dépistage, soins au patient… et bientôt la vaccination. Tout cela « crée des turbulences, des pertes de repère », a constaté le Pr Patrice Diot.

L’enseignement à distance de qualité ne suffit pas

Depuis le début de la crise sanitaire, la priorité des doyens avait été de maintenir un enseignement distanciel de qualité pour les étudiants. « Mais on voit bien aujourd’hui que cela commence à craquer, a reconnu le Pr Patrice Diot. Les étudiants ont besoin de retrouver leurs enseignants, et besoin encore plus de se retrouver entre eux pour des questions d’équilibre. » Face à cette situation, le professeur a proposé la mise en place d’un plan d’action dans les facultés de médecine sous la forme de deux volets.

Améliorer l’accès aux dispositifs d’alerte

Premièrement, il a écrit aux membres de la Conférence des doyens de médecine pour leur demander de mettre en œuvre dans leurs facultés respectives le triptyque suivant : sensibiliser, alerter, accompagner. C’est-à-dire « sensibiliser tous les doyens à la situation, alerter quand une situation est préoccupante, et surtout, accompagner les étudiants ».

Sur ce point, des « commissions d’accompagnement des étudiants » ont été mises en place depuis plusieurs années dans la plupart des facultés de médecine sous diverses appellations. Mais, il faut que l’on améliore l’accès à ces commissions qui sont placées sous la responsabilité d’un enseignant, pour qu’un étudiant puisse alerter plus facilement au niveau local », a insisté le professeur.

Un avis partagé par la vice-présidente de la Conférence des doyens, la Pr Bach Nga Pham, qui a confirmé que des cellules d’accompagnement existent dans toutes facultés de médecine. Ce à quoi il faut ajouter la médecine au travail au sein des CHU, la médecine préventive au sein des universités, mais aussi le Centre national d’appui (CNA), dont la mission est de favoriser la qualité de vie des étudiants en santé (QVES). Ce qui signifie que « nous avons depuis deux ans la possibilité de contacter les étudiants à travers leurs propres associations étudiantes » qui sont elles-mêmes en lien les cellules d’accompagnement, a souligné le Pr Bach Nga Pham.

Deuxième élément du plan d’action : « Il faut que nous soyons en capacité de répondre à des alertes  24h/24, 7j/7, en particulier les week-ends « qui peuvent être particulièrement difficiles », selon le Pr Patrice Diot.

Par ailleurs, le CNA sera doté en février prochain d’un numéro vert qui centralisera les appels de détresse, afin de mettre en place dans un deuxième temps les accompagnements nécessaires dans les facultés de médecine.

Enfin, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation va accorder des crédits pour permettre le recrutement de 80 psychologues. « Cela peut paraître une goutte d’eau, et cela ne peut pas être une réponse à tout, mais ce n’est quand même pas rien car les universités se verront ainsi renforcées de compétences qui leur seront utiles », s’est satisfait le Pr Patrice Diot.

Faire revenir les étudiants en présentiel

Mais ce dont ont cruellement besoin les étudiants de médecine, « ce sont des perspectives, un avenir, un cap… Ils ont besoin d’échanges avec les enseignants, avec leurs pairs » pour être capables de « tracer un avenir », a martelé le professeur.

Sur ce point, la reprise de l’activité à partir du 25 janvier dans les universités (les travaux dirigés pourraient reprendre en demi-groupes pour les étudiants de première année) annoncée la semaine dernière par la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, tombe à point nommé car « cela va nous permettre de rétablir le contact avec les étudiants », a estimé le Pr Patrice Diot.

Sauf que l’idée de faire revenir des groupes d’étudiants par groupes de dix ne répond pas tout à fait à ses attentes. Car, en médecine, cela « fonctionne assez peu en enseignement dirigé. Donc, le gros défi pour nous, c’est ce convaincre nos universités et nos tutelles de permettre le retour de nos étudiants, à raison de plusieurs dizaines ».

Une demande qui a peut-être été entendue par le président de la république qui s’est engagé ce jeudi lors d’un déplacement à l’Université Paris-Saclay à ce que les étudiants, quels que soient leur niveau d’étude ou leur lieu d’étude, puissent recevoir 20% de leurs cours en présentiel au deuxième semestre.

Créer un baromètre 

Enfin, le président de la Conférence des doyens réfléchit à la création d’un baromètre   « pour décrire en dynamique la réalité de la vie de nos facultés. On a besoin d’éléments objectifs, et le suicide en est un, ça s’est sûr… Mais, sans attendre le suicide, il y a certainement des indicateurs pour observer le moral des étudiants, en espérant qu’il aille en s’améliorant… » Car, à l’heure où nous écrivons ces lignes, force est de constater que le mal-être des étudiants ne cesse d’augmenter. Interrogé sur le bilan des actions de prévention du suicide depuis quelques années, le Pr Patrice Diot a répondu : « On pourrait considérer que le bilan, c’est de voir s’il y a d’autres passages à l’acte. Et malheureusement, un drame s’est produit la semaine dernière (le suicide de Sinega Santhirarajah ; NDLR). Il y en a d’ailleurs eu d’autres dans l’université la semaine dernière. Donc, cela pourrait être considéré comme un constat d’échec. » C’est pourquoi le professeur est « sans arrêt dans la recherche de nouvelles actions pour accompagner les étudiants, pour faire en sorte qu’ils ne soient pas seuls dans une situation potentiellement stressante. »

Annoncer les résultats différemment

Pour éviter que ce genre d’événements ne se reproduise, l’idée suivante a germé dans son esprit : « L’annonce des résultats des PACES ou PASS se fait depuis des années par voie numérique. Il faut que nous mettions en place un accompagnement de l’annonce des résultats ». Car il arrive en effet qu’un étudiant les découvre « alors qu’il n’est pas bien, alors qu’il est en situation de précarité, qu’il est tout seul dans une chambre… » Un dispositif qui aurait peut-être permis à Sinega Santhirarajah de rester en vie. Car, son suicide serait la conséquence de ses résultats négatifs (elle n’avait obtenu aucune note au-dessus de la moyenne, si ce n’est en anglais), a confié sa cousine à Actu Paris  : « On a retrouvé un message dans son portable. Un message qu’elle avait adressé à une de ses amies mais qu’elle n’avait pas envoyé et dans lequel elle avait écrit : « Je ne me vois pas en vie si je n’ai pas mon premier semestre ».

Julien Moschetti

Publié dans Medscape le 22 janvier 2021.

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