Les trans en marche contre les petits pas

« Trans et intersexes 1 : des droits, des lois, qui respectent nos choix ! ». « Changement d’état civil libre et gratuit, une seule déclaration ! » Les slogans des militants LGBTI résonnent dans la tête des passants parisiens. Vingt-et-unième marche des transsexuels et des intersexes,  l’Existrans 2017 a rassemblé des milliers de personnes le 21 octobre. Dans la liste des revendications, le changement libre et gratuit de la mention de sexe à l’état civil en mairie, sans condition médicale et sans homologation par un juge. Mais aussi la suppression de la mention de sexe à l’état civil et sur les pièces d’identité.

Un grand pas juridique a pourtant déjà été franchi avec l’adoption en octobre 2016 de la loi Justice du XXIe siècle qui facilite le changement d’état civil (CEC) des personnes transgenres. La procédure est désormais démédicalisée pour les personnes majeures et mineures émancipées. Plus besoin de fournir la preuve d’avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation. Mais les démarches n’en demeurent  pas moins longues et complexes. A l’image de Tille, 22 ans, dans l’attente d’une décision concernant sa demande de modification de prénom déposée en mairie en juin dernier.

Photo : Julien Moschetti. Droits réservés.

« J’ai tout entendu : « le logiciel n’est pas à jour », « il n’y a pas de décret d’application… ». Sous testostérone depuis février, il se trouve dans une situation inconfortable pour chercher du travail : « J’ai peur que l’on m’accuse de mentir aux employeurs. On me demande aussi de justifier mon identité à la poste ou à l’entrée des bars. Je suis parfois obligé de faire une scène devant tout le monde pour dire que je suis transsexuel. » Des « désagréments » que n’aurait sans doute pas eu à subir Tille si la loi française sur le changement d’état civil était basée sur l’auto-détermination (simple déclaration), comme c’est le cas au Danemark, en Suède, en Norvège ou en Colombie.

Comme Tille, Philippe revendique le droit de  « modifier son prénom et la mention du sexe  sans procédure administrative : « Le changement de prénom se fait en mairie, mais à condition de présenter l’avis médical du psychiatre et l’attestation du médecin traitant et des proches, déplore cet employé(e) de banque de 56 ans actuellement dans l’attente d’un nouveau  prénom. J’aimerais aussi pouvoir modifier la mention de sexe en mairie, sans passer par le tribunal. »

Photo : Julien Moschetti. Droits réservés.

Longtemps hésitant, Philippe a décidé d’entamer les démarches de CEC suite à l’adoption de la loi Justice du XXIe siècle. Mais c’est aussi le décès récent de son père qui a ouvert cette fenêtre des possibles : « Mon père était un militaire qui rejetait tout ce qui n’était pas dans la norme : les étrangers, les handicapés, les trisomiques, les trans… Je ne pouvais pas me montrer tel que j’étais avec lui. »

Philippe se veut optimiste concernant sa demande de changement de prénom. Son dossier plaide en effet en sa faveur : avis médical de psychiatre, attestation du médecin traitant, témoignages de proches et de collègues de travail… Mais il regrette d’avoir été contraint de consulter  un psychiatre pour démarrer son traitement hormonal. Non seulement parce que le « parcours à l’hôpital a duré deux ans ». Mais aussi parce « le simple fait d’aller voir un psychiatre donne à penser que la transsexualité est considérée comme une pathologie. » Et de rappeler que ce syndrome reste qualifié de maladie par l’OMS.

Photo : Julien Moschetti. Droits réservés.

Même constat pour Elie, de passage à la manifestation Existrans pour défendre l’idée que la transsexualité n’est pas une pathologie, mais aussi pour « soutenir les personnes intersexes, considérées comme des anomalies à corriger ». Ce trans « non-binaire 2 » se présente « au masculin » dans la vie de tous les jours,  pour « simplifier les choses », car « c’est plus vivable pour moi que le genre féminin qui m’a été assigné à la naissance ». Plutôt satisfait de la loi Justice du XXIe siècle qui « ne spécifie pas l’obligation d’une stérilisation ou d’une autre chirurgie pour obtenir le CEC », il déplore cependant avoir été contraint de passer par le privé pour effectuer sa transition physique, suite au refus de prise en charge d’un endocrinologue du secteur public.

Au final, il a dû rassembler 1200€ pour accéder à une mammectomie. La THS (traitement hormonal de substitution) a été en revanche remboursée par la sécurité sociale. Mais il aura fallu pour cela obtenir l’attestation d’un psychiatre pour bénéficier d’une Affection Longue Durée. Une Affection Longue Durée qui lui fait craindre à l’avenir d’être « suspecté de maladie grave » par les banques ou les assurances.

Elie regrette enfin que les décisions relatives au CEC se fassent « à la tête du client ». Contraint(e) de fournir des attestations de psychiatre et d’endocrinologue pour changer de prénom, il hésite à se lancer dans une procédure de changement de la mention du sexe parce qu’il faut « passer devant un tribunal. » Et de conclure : « Je ne souffre pas d’être trans, je souffre de l’être dans cet environnement. J’aimerais que chacun-e connaisse un minimum la transidentité. Et, même sans forcément tout comprendre, que chacun-e respecte les personnes concernées. » Combien de temps encore les personnes transgenres et les intersexes devront endurer un parcours du combattant pour pouvoir vivre comme tout le monde ? Tout simplement.

Julien Moschetti

1 : Les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (génitaux, hormonaux, chromosomiques…) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins. 1 à 2 % des naissances seraient concernées.

2 : ni totalement masculine, ni totalement féminine, voire complètement étrangère à cette binarité.

Publié dans La Chronique d’Amnesty International en novembre 2017.

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