Président de la Fédération Française de Psychiatrie (FFP) depuis février dernier, le psychiatre Michel David est un fin connaisseur d’un univers carcéral mal connu, caricaturé par les fausses représentations et sujet à fantasme. Aujourd’hui praticien hospitalier à la Fondation Bon Sauveur de la Manche, intervenant à la maison d’arrêt de Coutances, ce farouche défenseur des droits des détenus et de la psychiatrie en général revient sur sa trajectoire professionnelle (voir aussi encadré en fin d’article). On retrouve dans le portrait de cet intellectuel engagé, passionné de philosophie, les questions qui lui tiennent à cœur, et dont il s’est toujours fait le porte-parole, comme les dysfonctionnements actuels de la psychiatrie dans les prisons ou encore l’atteinte au secret médical, notamment dans le contexte actuel de menace terroriste.
Dr Michel David
Tout est parti d’une opportunité. Celle de réaliser un stage au sein du service médico-psychologique régional (SMPR) de la prison de Fresnes. Une opportunité mâtinée de curiosité. Celle de découvrir un « univers atypique où je n’aurais pas forcément l’occasion de retourner », se souvient le Dr Michel David. Interne en psychiatrie à l’époque, il était alors loin d’imaginer qu’il serait, une trentaine d’années plus tard, président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP).
Cette immersion dans l’univers carcéral s’explique aussi d’une appétence prononcée pour la philosophie. « Depuis l’année de terminale, je m’intéressais beaucoup à la philo. Et puis, on lisait beaucoup Michel Foucault [auteur de Surveiller et punir , un essai majeur sur l’émergence historique de la prison, ndlr] à l’époque. Donc, j’étais curieux de voir ce qui se passait en prison car on devait sans doute y voir des choses qu’on ne voyait pas ailleurs. J’y suis allé en tant interne durant une année, et c’est là que j’ai attrapé le virus. C’était extrêmement intéressant car on voyait des situations cliniques très diversifiées », confie ce psychiatre des hôpitaux avec une bonhomie naturelle.
C’est en prison que l’on s’écarte le moins de la médecine
Aujourd’hui encore, le Dr David continue à lire des ouvrages philosophiques qui « alimentent sa réflexion sur la psychiatrie », lui permettent de « réfléchir aux notions de liberté, de consentement, de libre-arbitre… » Selon lui, l’expertise psychiatrique tourne autour de ces problématiques puisqu’il s’agit de « réfléchir à la responsabilité de la personne, à son discernement, à ses capacités de consentement. Cela revient à se demander quel est son libre arbitre quand elle commet des actes. Se pose donc la question de la manière dont le sujet se positionne en tant que personne. »
Trouver sa voie
Lui-même a mis du temps pour « se positionner », trouver sa voie. S’il continue à s’intéresser à la psychiatrie en milieu pénitentiaire tout au long de son internat, il finit par s’installer en libéral à la fin de ses études, tout en développant une affinité particulière pour la pédopsychiatrie. Quand il n’exerce pas à son cabinet, il fait de l’expertise pour le Centre national d’observation (CNO) de Fresnes. Il est tellement passionné par la prison qu’il publie en 1993 son premier livre sur le sujet [Psychiatrie en milieu pénitentiaire au PUF, Ed. Nodules).
Quand une nouvelle opportunité se présente en 1996, avec l’ouverture d’un SMPR en Guadeloupe sur la commune de Baie-Mahault, à proximité de Pointe-à-Pitre, il fonce. « Ma femme est guadeloupéenne, c’était donc une occasion de partir dans son pays d’origine pour lier travail et famille. » Mais la situation était tellement « compliquée » en Guadeloupe qu’il restera à peine six mois.
Regard critique
De retour en France, il travaille en pédopsychiatrie durant cinq ans en Normandie, avant de retourner au SMPR de Guadeloupe où il restera, cette fois, 9 ans durant (de 2002 à 2011) en tant que chef de service. C’est à la même période qu’il commence à se faire connaître par l’écriture d’articles et en adhérant au Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) – dont il finira par intégrer le bureau du conseil national.
Mais, si le Dr David devient le référent de la psychiatrie en milieu pénitentiaire pour le SPH – dont il deviendra le vice-président en 2015 –, cela ne l’empêche pas d’être critique sur certains positionnements historiques de l’association : « Le SPH s’est beaucoup opposé à l’intervention dans les prisons dans les années 60. On disait à l’époque : « s’il y a des malades mentaux dans les prisons, c’est de la faute de la pénitentiaire : la situation dans les prisons est tellement épouvantable ». Mais c’était un jugement exagéré : « ce n’est pas toujours la prison qui rend malade, même si la prison n’arrange pas les choses. »
Il y a un problème de recrutement pour que les psychiatres puissent venir en prison
Son regard critique est tout aussi aiguisé quand il s’agit de pointer du doigt les dysfonctionnements actuels de la psychiatrie en milieu pénitentiaire. « Aujourd’hui, le dispositif sécuritaire de la société est sans cesse renforcé. Quand vous avez un détenu qui arrive dans un hôpital psychiatrique (HP), vous avez tendance à l’isoler pour l’empêcher de s’évader. »
Selon le Dr David, c’est le signe que « nous vivons dans une société où tout le monde a peur, où la prise de risques est devenue difficile. Donc, il est possible que cela renforce l’évolution d’une partie de la psychiatrie vers une finalité qui serait plus de « protéger la société » qu’à visée thérapeutique ». Une sorte de « défense sociale » semblable à ce qui se passe en ce moment en Belgique ou en Allemagne où l’on a «créé des « centres » où vous mettez les délinquants avec des perturbations psychiques, sans pour autant mettre de dispositif soignant conséquent ».
La psychiatrie n’est pas une médecine comme les autres
Et lorsqu’on interroge le président de la Fédération Française de Psychiatrie sur les enjeux actuels de la psychiatrie, il ne peut s’empêcher d’évoquer une déclaration d’Agnès Buzyn affirmant en avril 2018 au micro de France Culture que « la psychiatrie (…) s’est écartée progressivement de la médecine ». Un commentaire « qui a beaucoup énervé les psychiatres » observe le Dr David qui poursuit : « Autrefois, il y avait un schéma régional d’organisation sanitaire (SROS) en psychiatrie et un SROS en médecine somatique. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’un. L’internat de psychiatrie, qui était spécifique, a désormais disparu. Les infirmiers de secteur psychiatrique ont également disparu.
La psychiatrie a quand même une spécificité : celle de disposer de soins sans consentement – on prive à un moment donné les gens de liberté pour les soigner –, ce que ne fait pas la médecine somatique. Donc il y a une énorme différence entre les deux. »
Pour en revenir à la déclaration d’Agnès Buzyn, le psychiatre des hôpitaux estime que « c’est en prison que l’on s’écarte le moins de la médecine : c’est l’un des endroits où on arrive encore le mieux à travailler ensemble, contrairement aux urgences où les conflits entre les somaticiens et les psychiatres créent souvent des tensions. »
La question du secret professionnel
Autre problème soulevé par le Dr David : la question du secret professionnel . Car, depuis la mise en place au début des années 2010 des commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) , qui ont officiellement pour objet d’examiner et de formaliser le parcours d’exécution de peine, « tous les gens qui interviennent en prison sont convoqués pour dire un petit mot sur ce qui fonctionne ou pas. »
Or, cela pose un sérieux problème car « les psychiatres sont soumis au secret professionnel. On a beau nous dire « on ne veut pas connaître le diagnostic, on veut juste savoir comment le patient se porte », le secret professionnel concerne tout ce que l’on sait sur le patient, tout ce qu’on a vu, entendu, compris. Cela fait partie du code de déontologie médicale. »
Ce qui conduit le Dr David, dont les idées fusent en permanence, à évoquer la pression exercée sur les psychiatres, au travers des demandes récurrentes de dérogations au secret médical émises par les forces de sécurité ou de renseignement, dans le contexte actuel de menace terroriste : « Il y a actuellement une pression qui s’exerce sur les hôpitaux, avec le fantasme que toutes les personnes qui sont hospitalisées sans consentement seraient des terroristes présumés, alors que l’on comptait, en 2015, près de 92 000 patients hospitalisés sans consentement ». Et de rappeler que l’on hospitalise les gens sans consentement depuis 1838, et « ce ne sont pas pour autant tous des terroristes. »
Don de prescience
Pour le Dr David, les fantasmes sont tellement importants que beaucoup imaginent que les psychiatres sont capables de lire dans la tête de leurs patients. Comme si, à l’image du film Minority Report, ils pouvaient prédire les crimes à venir grâce à leur don de prescience : « on est censés savoir s’ils sont dangereux, censés dire s’ils préparent un crime dans le futur et on a beaucoup de mal à faire comprendre que ce n’est pas comme ça que cela marche. Et puis, d’ailleurs, même si on était capable de deviner les pensées du détenu, on ne devrait rien dire, sauf si l’on sait qu’ils vont commettre un crime ou un délit. D’ailleurs, si un jour un détenu nous annonce ça, nous serons tous d’accord pour le signaler. »
En prison, on a la possibilité de faire un véritable travail psychothérapeutique
Autre problématique qui préoccupe le Dr David : la pénurie médicale. 27,4 % des postes de praticien hospitalier temps plein sont vacants, selon les derniers chiffres du Centre national de gestion (CNG). Donc, « pour venir en prison, il faut être particulièrement motivé. Il y a un problème de recrutement pour que les psychiatres puissent venir en prison. Ce sont surtout des enjeux de ressources humaines et de formation, mais aussi des enjeux liés à la confidentialité et au secret professionnel. »
C’est la raison pour laquelle le psychiatre lance un appel : « Laissez-nous travailler tranquillement. On ne demande pas grand-chose, on demande juste de pouvoir faire notre travail en toute sérénité dans un environnement qui est déjà compliqué et qui ne sera pas réformé du jour au lendemain, même si le numerus clausus vient d’être supprimé ».
Découvrir de l’intérieur l’univers carcéral
Et de proposer aux jeunes psychiatres de venir découvrir de l’intérieur l’univers carcéral pour aller au-delà des idées reçues : « Au départ, les psychiatres ont peur de la prison car la prison fait peur. Puis, quand ils voient de leurs propres yeux ce qu’il se passe dans les prisons, ils comprennent que cela n’a rien à voir avec les représentations qu’ils avaient, qu’il y a une clinique diversifiée que l’on ne verrait pas forcément ailleurs. »
Autre avantage de taille : « En prison, on a la possibilité de faire un véritable travail psychothérapeutique, de mener une véritable réflexion. Or, c’est quelque chose qui s’est un peu perdu en psychiatrie en général car on a de moins en moins le temps d’échanger…».
Julien Moschetti
Publié dans Medscape le 10 avril 2019.
Bio express :
Psychiatre-pédopsychiatre, praticien hospitalier à la Fondation Bon Sauveur de la Manche, le Dr Michel David est président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP). Il intervient à la maison d’arrêt de Coutances après avoir été chef de service du service médico-psychologique régional (SMPR) de Baie-Mahault en Guadeloupe, et ancien expert judiciaire et médecin coordonnateur. Président de l’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire (ASPMP), il est également administrateur de la Société de l’Information psychiatrique (SIP), et vice-président du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux. Il est également président de la Fédération Française de Psychiatrie pour la période 2019-2020. Il est l’auteur de Soigner les méchants. Ethique du soin psychiatrique en milieu pénitentiaire, aux éditions L’Harmattan, juin 2015.