La Ligue contre le Cancer a annoncé ce jour le décès de son président, le généticien et chercheur, Axel Kahn à 76 ans. Retour sur un parcours de vie exceptionnel.
Ah ! Je t’ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur !
Il disait :
Si tu peux, fais que ton âme arrive,
À force de rester studieuse et pensive,
Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.
A la fois stoïcien et épicurien
Le 17 mai dernier, Axel Kahn lisait sur le plateau de France Inter les derniers vers de La Mort du loup, l’apologue en alexandrins d’Alfred de Vigny. Le généticien et essayiste avait en effet choisi le « loup de Vigny » comme « totem de ces dernières semaines de vie ». Et d’expliquer sur son blog intitulé « chronique apaisée de la fin d’un itinéraire de vie » que ce loup était sans conteste un stoïcien qui avait embrassé au cours de sa vie cette philosophie, dont « les origines s’enracinent dans l’idée que la vertu seule et l’insensibilité aux passions bonnes ou mauvaises, à l’exaltation des plaisirs comme à la douleur, garantissent la vie bonne et le bonheur ».
Si le fils du philosophe Jean Kahn-Dessertenne (1916-1970) était un « stoïcien face à la douleur », Axel Kahn se voyait également comme « un épicurien » quand il s’agit, dit-il, « d’intégrer la recherche d’un bonheur paisible à mes objectifs de vie, hédoniste dans mon goût pour tous les plaisirs, surtout partagés. » À l’image du message posthume qu’il désirait laisser en héritage à ses enfants : « Personne n’est ce qu’il est sans l’autre. Sans possibilité de donner et de recevoir, personne n’existe. Que la mort soit proche ou lointaine, c’est la clé, fondamentale, pour l’humanité », confiait-il à La Croix.
Ame de poète
Comme son père, Axel Kahn avait aussi une âme de poète. Le 27 mai dernier, les internautes découvraient sur Twitter un poème posté au cœur de la nuit. Avec ses propres mots, le médecin revisitait « Quand on n’a que l’amour », la célèbre chanson de Jacques Brel. Une émouvante déclaration d’amour à la vie qui sonnait également comme un aveu d’impuissance, une résignation face à l’inéluctable affronté jusqu’au bout avec beaucoup de courage, de combattivité et d’humilité. « Il existe une véritable urgence de vie. Alors, amies et amis, combattons, ne lâchons rien avant que ce moment n’en soit réellement, paisiblement venu. Seulement, alors le loup desserre sa mâchoire, seulement alors nous renoncerons aux petits et grands plaisirs autres que le sommeil », écrivait-il sur son blog le 7 juin dernier.
La lutte contre le cancer, son dernier combat
Deux semaines plus tôt, le grand public découvrait que l’ex-président de la Ligue nationale contre le cancer était touché par un cancer qui s’était récemment aggravé. Dans la foulée, l’homme de 76 ans confiait à France Inter qu’il lui restait peu de temps à vivre. Un temps qu’il allait essayer de consacrer à « toute une série de réorganisations fondamentales pour mieux lutter contre le cancer, avoir plus de moyens, mieux aider les personnes malades ».
La lutte contre le cancer, que cela soit sur le plan personnel ou par l’entremise de la Ligue contre le cancer, fut l’un des derniers combats de cet humaniste engagé qui, tout au long de sa vie, a défendu bec et ongles les innombrables causes qui lui tenaient à cœur. À travers l’écriture de nombreux ouvrages de vulgarisation sur la génétique, l’humanisme et l’éthique. Mais aussi à travers ses prises de position sur la thérapie génique, le clonage, les tests génétiques ou les OGM, notamment en tant que membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de 1992 à 2004.
Liant génétique et éthique
Il participa par exemple en 1991 au lancement d’une pétition contre l’utilisation des tests génétiques pour détecter les fraudes chez les athlètes féminines. L’année suivante, il milita contre la brevetabilité des gènes par les États-Unis et l’Europe. Avant de s’opposer en 2000 au clonage reproductif et au principe du clonage thérapeutique, dénonçant la réification de l’embryon humain et de lutter, en septembre 2007, contre un amendement portant sur l’utilisation des tests génétiques, dans le cadre du regroupement familial.
Docteur ès sciences en 1976, le médecin a effectué l’ensemble de sa carrière à l’Inserm, en tant que directeur de recherche, succédant, de 1984 à 2001, à Jean-Claude Dreyfus (cofondateur de l’école française de génétique moléculaire) à la tête de l’unité Inserm 129 « Enzymologie pathologique », qui deviendra en 1998 le Laboratoire de Recherches en Génétique et Pathologie Moléculaires.
Ses travaux ont tour à tour porté sur la génétique moléculaire appliquée à l’étude de maladies héréditaires, l’enzymologie, le génie génétique et la thérapie génique, afin d’étudier les possibilités thérapeutiques du transfert de gènes. C’est ainsi qu’il démontrera l’efficacité locale d’une thérapie génique dans un modèle murin de la myopathie de Duchenne.
Sur tous les fronts
Le généticien sera également en 2002, à l’âge de 68 ans, à l’origine de la création de l’Institut Cochin qu’il dirigera jusqu’en 2007, avant de prendre la présidence de l’université Paris-Descartes de 2007 à 2011. Puis il intégrera l’équipe de campagne de Martine Aubry pour l’élection présidentielle de 2012. Avant de se présenter aux élections législatives de 2012 dans la deuxième circonscription de Paris. Pour finir par être battu au second tour par un certain François Fillon…
Membre du Comité de déontologie du Comité National Olympique et Sportif Français depuis 2014, le Pr Kahn a succédé en mars 2016 à Louis Schweitzer en tant que président du Comité d’éthique commun à l’INRA, au CIRAD, à l’IFREMER et, depuis mai 2019, à l’IRD.
Très présent pendant la crise sanitaire
Président de la Ligue nationale contre le cancer depuis 2019, on l’a beaucoup entendu durant la crise sanitaire. « Si j’ai tenu à être aussi présent pour commenter le Covid-19, c’est parce que les personnes malades du cancer sont des victimes collatérales très frappées par la crise », confiait-il en mai dernier à La Croix . Il s’est par exemple emporté en septembre dernier contre « la brochette d’abrutis » qui minimisaient une reprise épidémique. En mars 2021, il dénonçait « l’erreur politique » du gouvernement qui aurait dû, selon lui, décider un confinement en début d’année. Avant d’ajouter que « c’était une erreur de tout miser sur la vaccination ». Jusqu’à l’annonce de sa maladie…
Dans un post émouvant publié sur Facebook le 21 mai dernier, il expliquait ne ressentir « aucune anxiété » face à la mort, mais plutôt un « certain soulagement ». Il pouvait partir dans « une totale sérénité », persuadé « d’avoir fait au mieux » à la Ligue du cancer. « Je ne pouvais faire plus. Je suis passé de la présidence d’un bureau national de La ligue le matin à la salle d’opération l’après-midi. Presque idéal », concluait-il avant de dire au revoir à ses amis, « souriant et apaisé ».
Julien Moschetti