Certains malades du cancer bénéficient des soins d’une musicothérapeute au Centre Hospitalier de Saint-Denis (CH St-Denis). Pour apprendre notamment à mieux gérer leurs émotions. Reportage.
« Quand je ne vais pas bien, je mets du jazz et je fais les respirations par le nez apprises durant les séances. En dix secondes, les coups de speed disparaissent. C’est une illumination ! » Atteint d’un cancer de la prostate, Stéphane est devenu en quelques mois un inconditionnel de la musicothérapie. L’homme de 50 ans fait partie des personnes qui ont la chance d’être accompagnés par l’équipe du centre AION. Initié en 2015 par l’équipe mobile de soins palliatifs (EMSP) du CH St-Denis, ce centre de cancérologie intégrative propose une prise en charge globale et alternative aux patients atteints du cancer qui ne sont pas ou plus sous chimiothérapie.
Selon le Dr Isabelle Marin, chef de service de EMSP au CH St-Denis, il s’agit « d’intégrer aux soins de la médecine traditionnelle l’hygiène de vie, l’alimentaire, les exercices physiques, la psychiatrie, mais aussi les médecines parallèles. » Le médecin fait allusion aux séances d’ostéopathie, d’acupuncture, de sophrologie ou de musicothérapie prodiguées aux patients. Et la méthode fonctionne : « La musicothérapie me fait énormément de bien, témoigne Stéphane. Je suis hyperactif, cela m’aide à me calmer, me remet la tête à l’endroit. Cela me permet de gérer le stress, de lâcher prise quand j’en ai besoin. J’avais une boule dans le ventre qui ne voulait pas sortir et j’ai réussi à lâcher ce qui me faisait mal à l’intérieur grâce à la musicothérapie. Tu as le droit de pleurer. Avant je n’y arrivais pas… »

Photo : Yann Mambert. Tous droits réservés.
Il suffit d’assister à une séance pour s’en rendre compte. La consultation alterne écoute d’extraits musicaux et moments d’échange semblables à une séance de psychothérapie. « Je fais venir les émotions avec la musique pour faire remonter les souvenirs, explique Isabelle Pasquier, la musicothérapeute du centre AION. L’idée, c’est de faire vivre l’émotion, de la verbaliser puis de la transformer pour aider le patient à passe à un autre état : retrouver de la force et du courage, être prêt à affronter ses difficultés… Or, tant que l’on bloque ces émotions, on ne peut pas faire ce travail d’acceptation ou de deuil pour réussir à gérer les émotions. »
« La bestiole qui veut avoir ma peau »
La méthode a séduit Stéphane qui avait jusqu’à présent toujours refusé l’aide d’un psychologue. « Certains patients refusent d’aller voir des psychologues car c’est très connoté mais ils acceptent la musicothérapie, explique Isabelle Pasquier. Ce sont deux thérapies complémentaires car nous travaillons sur les mêmes notions (acceptation, deuil, estime de soi, écoute de soi…), à la différence prêt que le psychologue ne travaille pas sur le corps ».
La séance démarre avec un chant a capella. Isabelle Pasquier demande à son patient de mettre des mots sur ses émotions pour faire ressurgir les souvenirs. « Je suis ému, j’ai pensé à un membre de la famille qui vient de décéder au Mali, confie Stéphane qui en profite pour évoquer le concert d’Iron Maiden qu’il vient annuler en raison de son cancer.
Nouvel extrait sonore. Une chanson orientale propice à la relaxation. « Ha la vache… C’est sorti là ! », lance Stéphane, avant de faire les traditionnels exercices de respiration, guidé par la voix douce d’Isabelle Pasquier. « J’inspire, le ventre se gonfle, je prends de la vie, de la force, de l’énergie… J’expire et j’envoie cette force et cette énergie dans les jambes, dans les pieds, dans les bras… »
Quelques minutes plus tard, la musicothérapeute clôture la séance avec « Fear of the Dark » d’Iron Maiden. Les premiers riffs de guitare électrique retentissent. Les larmes sortent instantanément. Stéphane se prend la tête à deux mains, bat la musique en rythme avec ses mains, comme s’il assistait au concert ; hurle, rugit presque, comme pour faire sortir « la bestiole qui veut avoir sa peau ». Dernières notes. Stéphane redresse la tête et regarde la musicothérapeute. « C’est dur mais je vais y arriver ! Nous, les rockeurs, on ne se laisse pas abattre ! »
Julien Moschetti
Publié dans le Journal de Saint-Denis (JSD) le 5 juillet 2018.