Et si l’on soignait de manière ludique l’addiction aux jeux de hasard et d’argent à l’aide de serious games et de la réalité virtuelle ? Psychiatre en addictologie au CHU de Nîmes, le Dr Amandine Luquiens a présenté cette approche innovante lors du Congrès de l’Encéphale 2021.
Elle a commencé par rappeler que les personnes qui souffraient d’une addiction aux jeux de hasard et d’argent étaient une population qui était peu à la recherche de soins : « Moins de 10 % d’entre eux demandent de l’aide et seulement 2 % d’entre eux sont satisfaits de l’aide apportée. Donc, il y a un vrai enjeu à aller vers, à innover, à motiver, et les serious games pourraient avoir toute leur place a priori », selon la psychiatre.
À condition de ne pas confondre jeu sérieux et jeux… Quand on regarde la définition du Petit Robert, un jeu est une activité physique et mentale dont le but essentiel est le plaisir qu’elle procure. Or, « les serious game sont des jeux dont le but premier n’est ni le divertissement, ni le plaisir, ni l’amusement, donc on est face à une contradiction forte », selon la psychiatre qui a rappelé l’utilité des serious game : « Soit l’éducation, soit un entrainement, soit le fait d’inciter quelqu’un à changer son comportement, soit l’utilisation en santé ».
Un serious game est une jeu qui combine une intention « sérieuse » — de type pédagogique, informative, communicationnelle, voire thérapeutique et des dimensions ludiques. Il peut s’agir de tout type de jeu (de société, jeux de rôle, jeux vidéo…).
Les troubles liés aux jeux de hasard et d’argent sont classés dans la catégorie des troubles addictifs dans le DSM-5. Ils sont caractérisés par « un comportement excessif qui est source de souffrances pour l’individu et qui répond à des processus addictifs assez différents : registres sociaux, interpersonnels, cognitifs, affectifs ou motivationnels », a précisé le Dr Amandine Luquiens. Or, l’ensemble des serious game s’intéressent essentiellement à ces processus. Ils auraient donc « une cible bien précise en termes sémiologique ou psychopathologique », selon la psychiatre.
La psychiatre a donné quelques exemples de serious game d’intérêt. Certains avec un objectif de psychoéducation (comprendre les mécanismes du jeu), d’autres s’attachant à recréer des situations de cognitions erronées pour avancer dans la thérapie, ou d’autres encore visant à entrainer une fonction cognitive déficiente, ici l’inhibition.
Des jeux psychoéducatifs et de contrôle des émotions
Sur le versant de la psychoéducation, le Dr Luquiens a présenté un simulateur de jeux où l’on apprend au patient le fonctionnement d’une machine à sous. Comment par exemple un microprocesseur fait défiler de façon aléatoire un chiffre qui correspond à une combinaison qui répartit les chances de gains et de pertes a priori. En faisant en sorte que l’ensemble des joueurs en moyenne soit perdant de moins de 10 % de la somme. On les fait donc manipuler un lancer de dés, pour qu’ils comprennent le lien entre ce chiffre qui « déroule » de façon aléatoire (correspondant au moment où on va appuyer sur le bouton pour lancer la machine à sous) et l’issue du jeu.
Autre exemple de serious game sur lequel travaille une équipe espagnole : le biofeedback gamifié. Dans le cas précis du jeu Playmancer, le patient se retrouve devant un jeu vidéo extrêmement élaboré qui permet par exemple, en régulant son souffle, de construire des constellations d’étoiles, avec différents biocapteurs. Les objectifs sont d’améliorer la capacité à résoudre des problèmes, à planifier, à rester maître de soi-même, à contrôler son impulsivité et son relâchement. Les résultats escomptés sont une diminution significative de l’impulsivité, de l’anxiété, de la dépendance au jeu…
Une étude ouverte sur un nombre limité de sujets a été publiée avec des résultats encourageants, tandis qu’une étude internationale de plus grande ampleur est en cours.
Réalité virtuelle et craving
Le Dr Amandine Luquiens a également pris l’exemple de la réalité virtuelle qui propose un univers ludique. Selon la psychiatre, la thérapie par exposition en réalité virtuelle (TERV) (lire ici notre article sur le sujet) serait actuellement le traitement le plus étudié. En pratique, il permet d’optimiser l’exposition au craving dans certaines situations où la tentation [de jouer] est forte (immersion dans une salle de casino, par exemple). On utilise alors une méthode de think aloud qui consiste à faire parler les patients à voix haute. Comme nous l’expliquait le Dr Éric Malbos, « il ne s’agit pas de mettre un casque au patient et de se contenter d’un silence. Un dialogue s’établit entre le médecin et le patient qui communiquent souvent. » Le patient pourra par exemple demander au médecin de lui rappeler les méthodes apprises : relaxation, restructuration cognitive, gestion des émotions… Cette méthode « permet un accès plus facile à certaines cognitions erronées et permet d’avancer plus rapidement en psychothérapie », selon le Dr Amandine Luquiens. Une étude menée par le psychologue Pierre Taquet est en cours de recrutement qui utilise un environnement virtuel de casino, au CHR Lille 1.
L’intérêt du training gamifié sur les fonctions cognitives
Enfin, la psychiatre mène actuellement de son côté une autre étude (Train-online) sur les jeux de hasard et d’argent. Celle-ci s’intéresse au training cognitif gamifié. Il s’agit d’entrainer une fonction cognitive qui est déficiente ou ne fonctionne pas de façon optimale dans la population d’intérêt. Le programme informatisé va donc cibler l’inhibition de la réponse motrice (en collaboration avec Scientific Brain Training).
« Chez les joueurs pathologiques, on s’intéresse à la fonction d’inhibition qui est perturbée et qui ne fonctionne pas de manière optimale. Elle a un vrai rôle dans le processus et le maintien de ce trouble », a précisé la psychiatre qui mène un essai public randomisé auprès de 200 joueurs problématiques recrutés en ligne 2. Ils sont alors randomisés entre un training cognitif qui cible l’inhibition ou une condition contrôle (autre training cognitif) qui ne cible pas du tout l’inhibition, mais s’intéresse plutôt au champ visuel. Dans les deux cas, des interactions avec un neuropsychologue sont proposées.
L’objectif de ces jeux est d’aider les patients à comprendre le rôle des fonctions cognitives dans la perte de contrôle de la pratique de jeu. Mais aussi à utiliser dans la vraie vie les compétences développées par les exercices en ligne.
Comment fonctionnent ces jeux ? On demande par exemple au patient d’identifier, de bien reconnaître un poisson qui passe. Avant de faire défiler de plus en plus vite des poissons à travers des masques de plongée de plus en plus petits. La personne doit cliquer s’il s’agit du bon poisson et retenir les mauvaises réponses.
Autre exemple : reconnaitre des panneaux de signalisation qui représentent essentiellement des animaux traversant la route. Les personnes doivent éviter de cliquer quand il ne s’agit pas du signal qu’ils étaient censés repérer. Dans cette étude, qui se déroule entièrement en ligne et à distance, on mesure les comportements de jeu, mais aussi les éléments neuropsychologiques, de qualité de vie et les caractéristiques objectives du jeu. Si les participants le souhaitent, un suivi rapproché par téléphone sera proposé avec un neuropsychologue.
Des jeux utilisés en remplacement du traitement standard ou en add on
En conclusion, le Dr Amandine Luquiens a souligné que « ces modalités ludiques permettent de recruter des joueurs qui ont un profil un peu inhabituel, puisque 57 % d’entre eux n’avaient jamais demandé de soins auparavant ».
La psychiatre a rappelé qu’il existe une diversité de serious game visant à entraîner et éduquer. Ceux-ci sont très largement accessibles ou très ciblés sur certaines fonctions. Ils sont utilisés en remplacement du traitement standard ou en add on.
Mais « le serious game ne peut pas être un gadget qui n’apporte rien et coûte cher », a-t-elle mis en garde. Car, s’il est trop gamifié, cela pourra se faire au détriment du contenu.
Enfin, il est essentiel d’avoir une trame théorique sous-jacente et de ne pas s’intéresser simplement au jeu. Selon le Dr Amandine Luquiens, il y a encore peu de données probantes, mais beaucoup de promesses et d’outils qui répondent à des attentes et des missions différentes : « Soit aller vers des patients qui ne viennent pas aux soins avec un recrutement très large, soit en add on, en s’ajoutant au traitement habituel pour des populations plus sévères qui nécessiteraient des soins ciblés ».
1 : Étude VIRET-GAD. Si vous désirez être inclus dans cette étude, envoyez un mail à pierre.taquet@chru-lille.fr
2 : L’entraînement dure 6 semaines. Il se fait via une plateforme sécurisée sur internet. Il s’agit de l’adaptation d’exercices gamifiés qui sont déjà utilisés dans d’autres indications en psychiatrie. Pour participer à cette étude, écrivant à l’adresse suivante : train.online@aphp.fr